Le clonage dit non reproductif, encore appelé thérapeutique ou plutôt à visée thérapeutique, consiste à transférer le noyau d’une cellule somatique adulte dans un ovule énucléé avec pour objectif d’engendrer des cellules souches embryonnaires dont la culture in vitro pourrait fournir des lignées de cellules différenciées ou de tissus susceptibles d’être utilisées, notamment par greffes, dans le but de traiter une maladie.
A aucun moment n’est envisagée l’implantation dans un utérus, ce qui exclut toute possibilité de grossesse et donc de naissance d’un enfant. Autrement dit, cette technique n’est pas une technique de procréation mais un moyen de fabriquer des lignées de cellules ou des tissus génétiquement identiques à l’individu chez qui a été prélevée la cellule adulte d’où provient le noyau utilisé.
C’est pourquoi, afin de ne pas confondre cette technique avec celle qui consisterait à faire naître des enfants, à la manière de la brebis Dolly (→) et d’autres mammifères « clonés », il est préférable de ne pas parler ici de clonage mais plutôt de transfert de noyau somatique. Cette technique doit être évaluée en comparaison avec d’autres techniques susceptibles d’être utilisées dans le même but de cultiver des cellules souches embryonnaires. Deux autres techniques sont théoriquement concevables et ont commencé à être testées chez l’animal, parallèlement au transfert de noyau somatique.
(→) m/s 1997, n°3, p. 426 et 428
L’une consiste à utiliser des embryons produits par fécondation in vitro et s’étant développés pendant seulement quelques jours, jusqu’à ce qu’ils aient produit une centaine de cellules souches embryonnaires susceptibles d’être mises en culture. La mise en culture de telles cellules s’accompagne de la destruction de l’embryon et représente donc une alternative à son implantation. Cette technique a l’avantage d’utiliser des cellules souches produites de façon normale (presque) physiologique, par de vrais embryons, issus d’une fécondation. Elle a l’inconvénient, outre le fait d’utiliser de tels embryons dans un but de recherche ou de traitement, de produire des lignées cellulaires qui ne sont pas génétiquement identiques aux receveurs potentiels. Leur greffe sur ces personnes poserait donc des problèmes de rejet immunitaire, qui devraient être traités comme dans les greffes habituelles d’organes provenant de donneurs non génétiquement identiques. Une autre technique consiste à utiliser des cellules souches présentes dans les tissus adultes. Cette technique serait idéale puisqu’elle n’utiliserait que des cellules prélevées sur une personne adulte, donc génétiquement identiques à celle-ci (ou sur un enfant, à titre préventif, puis conservées dans l’attente d’une utilisation ultérieure éventuelle). Les lignées cellulaires ou les tissus cultivés à partir de ces cellules souches ne poseraient donc aucun problème de rejet en étant greffés sur ces personnes. De plus, elles éviteraient d’utiliser des embryons humains à des fins thérapeutiques. Malheureusement, cette technique est encore très problématique du fait de l’extrême rareté de ces cellules souches dans les organismes adultes et des difficultés qui s’ensuivent pour les isoler et les cultiver. Pourtant, des progrès importants ont déjà été effectués dans ce domaine. Alors qu’on ne trouvait de telles cellules que dans la moelle osseuse, le cerveau et les tissus fœtaux, il semble que l’on puisse utiliser des cellules de peau et des cellules adipeuses, plus faciles à prélever et à manipuler, comme réservoirs possibles de telles cellules souches ayant certaines propriétés de cellules embryonnaires.
Cependant, tant que ces difficultés ne sont pas surmontées, la seule façon de fabriquer des lignées cellulaires éventuellement utilisables pour traiter des patients sans problème de rejet immunitaire reste la technique de transfert de noyau somatique, permettant d’obtenir des cellules souches embryonnaires génétiquement identiques au patient. Tous les problèmes sont néanmoins loin d’être résolus, étant donné que pour l’instant, les expériences animales de traitements par cellules souches embryonnaires provoquent dans un nombre de cas non négligeable des cancers.
Certains souhaitent que la technique de transfert de noyau somatique soit interdite en y voyant la porte ouverte aux pratiques de clonage reproductif. Il n’en est rien. Ces pratiques, si elles étaient entreprises sur l’homme, ou plutôt sur la femme, seraient très différentes tant par leur technique que par les règles d’éthique médicale qui seraient ainsi transgressées.
Le clonage reproductif impliquerait que l’ovule modifié par transfert de noyau soit implanté dans un utérus féminin. Or ceci constituerait une expérimentation humaine dans des conditions doublement inadmissibles. Expérimentation d’abord sur les femmes chez qui seraient effectuées ces implantations, alors que tous les essais sur l’animal montrent que la probabilité de grossesse anormale et/ou d’avortement est très élevée. Expérimentation ensuite sur les rares enfants qui arriveraient à terme, et qui, suivant les résultats des mêmes essais, auraient une probabilité très importante de présenter des anomalies graves du développement ou post-natales. Ce n’est pas parce que deux ou trois médecins fous et/ou sans scrupules ont pu convaincre quelques dizaines ou centaines de femmes de se prêter à de telles expériences que le caractère criminel de celles-ci s’en trouve atténué.
Rien de tel, évidemment, dans le cas de préparation de lignées de cellules par transfert de noyaux somatiques. Certes, la mise au point de la technique du transfert de noyau proprement dite serait nécessaire à la première étape du clonage reproductif, et c’est cela qui fait craindre que le développement de l’une facilite celui de l’autre. En fait, il n’en est rien car un point essentiel à prendre en compte est que les critères de succès ou d’échec ne sont pas du tout les mêmes dans les deux cas. On devrait en passer par une grossesse et une naissance éventuelle pour juger du succès ou, beaucoup plus vraisemblablement, de l’échec du clonage reproductif, tandis que seules les propriétés biologiques, éventuellement thérapeutiques, de lignées cellulaires devraient être appréciées dans la production de cellules souches par transfert de noyaux somatiques. Le succès dans un cas pourrait parfaitement ne pas empêcher un échec dans l’autre.
Que ce qu’on appelle « clonage thérapeutique » soit permis ou interdit ne change rien en ce qui concerne les perspectives d’un clonage éventuel reproductif. Seule l’interdiction absolue de toute expérimentation sur des femmes visant à faire naître des enfants clonés peut empêcher une telle pratique, dans la mesure où elle serait criminalisée. Et ce, d’autant plus qu’une telle interdiction correspond aux règles habituelles sur l’expérimentation humaine et réunit un très large consensus dans la communauté des biologistes. La pratique du transfert de noyaux somatiques dans un but thérapeutique ne changerait rien ni au respect de cette interdiction ni à sa transgression criminelle éventuelle.
Une objection apparemment plus fondamentale au « clonage thérapeutique » concerne la question de la nature et du statut d’un embryon humain. Le transfert de noyau somatique dans le but de cultiver des cellules souches est souvent présenté comme une fabrication éventuelle d’embryons humains dans un but de recherche ou de traitement, et non dans celui de faire naître un enfant. On parle alors d’instrumentalisation ou de réification de l’embryon humain.
Le débat est donc souvent présenté comme une alternative entre réifier ou instrumentaliser l’embryon humain avec, d’une part, l’offense à la dignité humaine que cela comporterait et, d’autre part, l’entrave à la recherche avec les inconvénients de nature « utilitaire », thérapeutique, scientifique et économique qui en découleraient. Posé en ces termes, le débat éthique semble clos d’emblée, entre un souci moral d’un côté et une recherche de l’utilité et du profit de l’autre.
Cette façon de poser le problème est, en réalité, le résultat de confusions multiples créées par l’utilisation abusive des termes de clonage et d’embryon. Il s’agit en fait d’utiliser une technique de transfert de noyau somatique - c’est-à-dire provenant d’un tissu adulte -dans un ovule d’où l’on a au préalable retiré le noyau. La cellule ainsi obtenue est un pur artéfact, n’existant nulle part dans la nature pour ce qui concerne des mammifères. On sait pourtant que cet ovule modifié peut être stimulé, se diviser, commencer à se développer en milieu de culture et produire ainsi des cellules qui ont des propriétés de cellules embryonnaires alors même qu’il n’y a pas eu de fécondation.
Mieux - ou pire - on sait maintenant, depuis la naissance de Dolly, que, si cet artéfact cellulaire est implanté dans un utérus, il peut, sous certaines conditions encore imparfaitement maîtrisées et avec une probabilité encore très faible, se développer comme un embryon et produire un organisme adulte. Doit-on pour autant parler d’embryon si la question ne se pose pas de l’implanter dans un utérus féminin, et si la technique se réduit à des manipulations au laboratoire qui ne peuvent produire au mieux que des lignées de cellules ? C’est là que doit d’abord se situer le débat, plutôt que de considérer la réponse à cette question de définition comme acquise et de parler ensuite d’instrumentalisation d’embryon humain.
Je veux défendre la thèse qu’on a bien affaire à une instrumentalisation mais que celle-ci concerne des artéfacts cellulaires produits sans fécondation, et non des embryons, même si ces artéfacts peuvent, dans certaines conditions, présenter des propriétés qui leur sont communes avec celles d’embryons en cours de développement. Cette distinction me semble très importante, surtout si l’on respecte la position, considérée comme maximaliste, de ceux qui, suivant les enseignements de l’église catholique, estiment qu’un embryon humain est une personne humaine dès la fécondation. Pourquoi alors parler ici d’embryon, et encore plus de personne humaine, alors qu’il n’y a pas de fécondation ?
Avant la naissance de Dolly, il ne serait venu à l’idée de personne de considérer le produit d’un transfert de noyau somatique dans un ovule énucléé comme un embryon. Car tous les biologistes - ou presque - s’accordaient à considérer comme impossible le développement d’une telle cellule en un organisme adulte. De même qu’il ne viendrait aujourd’hui à l’idée de personne de considérer un ovule comme un embryon susceptible de se développer par parthénogenèse, car celle-ci est considérée comme impossible chez les mammifères. Pourtant, la parthénogenèse vient d’être réalisée expérimentalement à partir d’ovules de primates non humains. Elle a conduit au développement d’un blastocyste, c’est-à-dire à une source potentielle de cellules souches embryonnaires, mais ne permet pas la poursuite du développement embryonnaire après ce stade. Qu’en serait-il si, demain, une nouvelle prouesse technique permettait de mener à son terme une parthénogenèse expérimentale chez un mammifère ?
Depuis Dolly, puis les veaux, souris, porcs et chats (→) qui ont suivi et sont nés, plus ou moins normaux, de la même façon, on considère qu’un ovule dont on a remplacé le noyau par un noyau somatique est un embryon. A tout le moins, nous disent certains, même si ce n’est pas exact d’un point de vue strictement biologique -puisqu’il s’agit d’un pur artéfact, cellule artificielle produite sans fécondation -, on doit le considérer « éthiquement » comme un embryon, car il peut le devenir. Or rien n’est plus obscur que cette notion de potentialité. Un germe peut devenir un arbre. Des semences peuvent produire une récolte. Est-ce à dire qu’un germe est éthiquement un arbre ou des semences une récolte sur pied ? Bien au contraire, je ne vois pas ce qu’il y aurait d’éthique à mettre de côté l’effort de la nature (et des hommes) qui aboutit à transformer le germe et les semences en arbre ou en récolte.
(→) m/s 2001, n°5, p. 604 et 2002, n°4, p. 425
Dans le cas qui nous concerne, c’est bien pire : il s’agit d’une potentialité d’embryon, c’est-à-dire d’une potentialité de potentialité ! De ce point de vue, si l’on considère qu’un embryon est une personne, voire une potentialité de personne dès la fécondation, il serait beaucoup plus cohérent de s’opposer à l’utilisation des embryons surnuméraires - qui sont de vrais embryons produits in vitro par fécondation - qu’à celle de cellules produites par transfert de noyaux somatiques dans des ovules.
Enfin, notons que des essais d’obtention de cellules souches embryonnaires par transfert de noyaux somatiques humains dans des ovules de vaches ont été jusqu’à présent soldés par des échecs. Qu’en serait-il si une meilleure compréhension des mécanismes de « reprogrammation » d’un noyau adulte par le cytoplasme d’un ovule permet de cultiver des cellules souches embryonnaires à partir de telles cellules artificielles ? Les gènes nucléaires y seraient identiques à ceux du donneur ou de la donneuse malade et les facteurs cytoplasmiques, dont les gènes mitochondriaux, seraient d’origine animale. Ces cellules artificielles ne conduiraient probablement jamais au développement d’aucun organisme, ni humain ni animal, et on ne voit vraiment pas en quoi elles pourraient être qualifiées d’embryons, même si elles avaient quelques propriétés communes à des cellules embryonnaires, et pourraient être utilisées pour cela à des fins thérapeutiques ou simplement de recherche.
Certains parlent à ce propos de transgression de la barrière des espèces. Mais tant que les techniques ne concernent que des cellules et des molécules, cette « barrière » - qui n’en est alors pas une - est « transgressée » tous les jours dans l’utilisation de cellules d’origine animale ou bactérienne, ou hybride, pour produire des médicaments ou des prothèses, sans que cela pose le moindre problème éthique. A moins de considérer, comme certains courants religieux ou sectaires, que toute intervention dans les processus naturels est mauvaise et que la maladie et la mort seraient alors « éthiquement » supérieures.
En fait, ces processus techniques montrent à quel point le souci de définitions simples - permettant de coller des étiquettes une fois pour toutes sur ce qu’est un embryon, ce qu’est une personne humaine, etc. -échoue dès que l’on est en face de processus évolutifs. Autrement dit, le souci de définir en faisant appel à ce qui serait l’essence immuable d’une chose, d’un animal, d’un être humain, échoue devant l’unité de la nature quand on envisage celle-ci du point de vue des devenirs et des évolutions.
Certes, c’est la technique et la fabrication d’artéfacts vivants qui contribue à faire ainsi voler en éclats les définitions essentialistes, mais la technique ne peut réussir que dans la mesure où elle se soumet aux lois de la nature, même si c’est pour mieux les dominer. Nous devons tirer de cela une leçon très générale : accepter de renoncer à des définitions essentialistes et plutôt rechercher et accepter des définitions évolutives.
Pour revenir à notre problème, ce qui n’est pas un embryon peut, sous certaines conditions, devenir un embryon. Ce qui n’est pas une personne humaine peut, sous certaines conditions, devenir une personne humaine. Le débat éthique est alors déplacé sur les conditions de tels devenirs. En particulier, ici, l’implantation ou la non-implantation dans un utérus féminin n’est quand même pas un « détail » de la technique qui ne modifierait en rien les données du problème.
Une dernière objection à la fabrication de cellules souches par transfert de noyaux somatiques consiste à invoquer la nécessité de prélever de grands nombres d’ovules féminins, avec le risque de dérapage vers des utilisations mercantiles du corps humain. Cet argument ne tient pas longtemps si l’on replace de tels dons d’ovules à visée thérapeutique dans le cadre des actes de solidarité soigneusement réglementés, tels que dons de sang, de tissus ou d’organes.
En outre, le prélèvement devrait être très peu traumatique, sinon pas du tout, en étant pratiqué à l’occasion d’interventions mineures telles que cœlioscopies, effectuées pour d’autres raisons, et bien évidemment avec le consentement total et éclairé des patientes.
Mais, de plus, des ovules féminins ne sont pas indispensables à toutes les recherches sur la fabrication de cellules souches par transfert de noyaux somatiques humains. Outre des ovules animaux, si leur utilisation se révèle finalement possible, des cellules souches embryonnaires provenant de lignées déjà existantes peuvent servir de réceptacles aux noyaux transférés, après avoir été elles-mêmes énucléées, afin de fabriquer des cellules souches génétiquement identiques aux bénéficiaires éventuels de greffes, donneurs de noyau. Il est urgent d’aboutir à une interdiction internationale avec criminalisation du clonage reproductif, déjà en bonne voie, d’ailleurs, et d’oublier dans ce contexte le transfert de noyau somatique à visée thérapeutique, en le laissant dans son domaine de recherche fondamentale sur des cellules en culture. Ce domaine, il n’aurait jamais dû le quitter sous l’effet de fantasmes autour du mot « clonage », car cela ne concerne ni les techniques de procréation médicalement assistée et leurs dérives éventuelles, ni la question de la recherche sur l’embryon et de son instrumentalisation.